Un entracte cosmique

Août 1989, jeune astrophysicien à peine entrée au Centre national d’études spatiales, je suis envoyé en Californie au Jet Propulsion Laboratory (le «JPL»), haut lieu de l’exploration planétaire, afin de vivre en direct le survol de Neptune par la sonde Voyager 2 envoyée dans l’espace 12 ans auparavant. Nous savons que nous allons vivre un moment rare: le premier survol de Neptune, qu’on n’avait jamais encore observé de près. Les images tombent en direct – sur s’extasie sur la couleur bleu profond de Neptune due à la présence de méthane dans son atmosphère. La découverte de geysers d’azote sur la lune Triton est une énorme surprise qui passionne encore les planétologues
En 1966, Gary Flandro, un thésard du JPL, avait publié un article soulignant une occasion unique de survoler les 4 planètes géantes du système solaire (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune) – une opportunité qui ne se reproduitait pas avant 2152! Le JPL convainc alors la NASA de financer les sondes Voyager pour un montant de 250 millions de dollars de l’époque. Mais la NASA n’autorise que les survivols de Jupiter et Saturne dans la mission nominale – sur verra plus tard pour les 2 autres.
Chaque sonde, d’une masse de 825 kg, possède 11 instruments pour observer les planètes et pour mesurer le milieu ambiant – champ magnétique, particules énergétiques et ondes radio – et ces derniers sont devenus essentiels au-delà de Neptune pendant la longue sortie du système solaire. Les Voyager ont été précédés de 5 ans plus tôt par les sondes Pioneer 10 et 11 qui étaient trois fois plus légères et donc clairement moins ambitieuses.
Les découvertes scientifiques des sondes Voyager
Voyager 1 découvre un anneau très fin autour de Jupiter, ainsi qu’une importante activité volcanique sur sa lune Io, prédite quelques mois auparavant: le champ de gravité de la planète géante est tellement important que, couplé à la présence de 3 autres lunes de Jupiter (Europe, Ganymède et Callisto), il provoque un effet de marée qui déforme Io. Cela provoque une énorme dissipation d’énergie à l’intérieur de la lune qui évacue sous forme d’éruptions volcaniques permanentes. Le même phénomène existe sur l’Europe, ainsi que sur Encélade et Titan autour de Saturne.
En survolant Saturne, les Voyager vont découvrir que ses anneaux numérotés de A à G sont en fait constitués de milliers de sillons, comme un disque vinyle. Tous ces sillons sont le résultat d’interactions complexes gravitationnelles, dites «en résonance», entre les grains des anneaux et les multiples lunes situées dans et à l’extérieur de ces mêmes anneaux. De plus, de mystérieuses irrégularités, dites «rayons», ont été identifiées sans qu’on comprenne l’origine à l’époque. Il s’agirait de poussières en lévitation électrostatique se mouvant au-dessus des anneaux.Au niveau de Saturne, une décision cruciale a été prix: la sonde Voyager 1 a été déviée de sa trajectoire pour permettre un survol rapproché de Titan, cette lune massive fournie d’une épaisse brume opaque était jugée extrêmement intéressante. Ce survol avait pour objectif de tenter de percer les mystères de Titan, mais Voyager 1 n’a rien vu de particulier sauf une couche atmosphérique «détachée» dans la haute atmosphère En revanche, cette décision a eu une conséquence grave: Voyager 1 n ‘ a pas pu visiter Pluton en 1986. Une déception qui a fait naître une opportunité: trente ans plus tard, la sonde New Horizons a survolé Pluton, avec des résultats qui n’auraient pas pu obtenir Voyager 1, par exemple l’analyse de son atmosphère d’observation de petites lunes inconnues à l’époque.
Les survivols d’Uranus en 1986 et de Neptune en 1989 nous avons appris exactement tout ce que nous connaissons de ces géantes glacées: pour Uranus, la découverte d’anneaux, de 11 nouvelles lunes et un champ magnétique orienté à 60 ° de l ‘ axe de rotation de la planète qui reste mystérieux Pour Neptune, mentionnons la découverte des anneaux, six lunes et la «Grande Tache sombre», qui a disparu depuis pour réapparaître 30 ans plus tard aujourd’hui, la NASA envisage un retour vers une géante glacée… pour les années 2040.
Sortir du système solaire
En août 2012, Voyager 1 a atteint l’héliopause, une des frontières du système solaire, zone de transition où le milieu interstellaire arrête le vent solaire; Voyager 2 atteindra cette région en 2018. Cependant, les sondes ne rentrent effectivement dans le milieu interstellaire non affecté par le Soleil que dans plusieurs années. Voyager 1 s’éloigne de nous à la vitesse de 60 000 km / h et devrait survoler l’étoile proche Gleise 445 dans environ 40 000 ans.
Un réseau de grandes antennes radio, au sol, est nécessaire pour communiquer: Californie, Canberra et Madrid se relaient afin d’avoir en permanence au moins un site en visibilité d’une sonde. Mais lors du survol de Neptune, Voyager 2 s’est retrouvée déviée vers le Sud hors du plan des planètes – seules les antennes de Canberra sont en visibilité de Voyager 2.
Pour recevoir les données en provenance des Voyager, on peut utiliser les antennes de 34 m de diamètre, avec un débit très faible: 160 bits / sec. Envoyer des commandes vers Voyager nécessite une revanche des grandes antennes de 70 m, la puissance du signal reçue par l’antenne de 3,7 m des sondes est extraordinairement faible. Déjà vers la fin des années 80, l’éloignement inexorable des sondes Voyager à la NASA à agrandir les grandes antennes (de 64 à 70 m), gagnant ainsi 20% de surface et autant d’énergie tant en réception qu’en émission . Mais ces grandes antennes sont vieillissantes.
L’antenne de 70 m de Canberra est âgée de 48 ans et elle doit être rénovée massivement, pendant 11 mois, pour assurer les communications avec les futures missions martiennes et lunaires qui vont nécessiter de très grands volumes de données à transmettre.
L’antenne de 70 m qui permet normalement d’envoyer des commandes à Voyager 2. Complexe de communication NASA / Canberra Deep Space
Voyager 2 continue d’envoyer des données sur les 34 m mais ne reçoit plus de commandes: la sonde devra gérer par elle-même les éventuelles anomalies qu’elle pourrait subir, grâce à son «mode sans échec», déclenché automatiquement si le calculateur de bord considère que la situation est anormale. Ce mode consiste à orienter l’antenne vers la Terre, et à orienter les panneaux solaires vers le Soleil s’il est est pourvu (ce n’est pas le cas de Voyager qui sont alimentés par une pile nucléaire) et à attendre les ordres. Le risque majeur pour Voyager 2 serait que l’antenne grand gain ne pointe plus la Terre: à cette distance, il est probable qu’il soit impossible de communiquer sur l’antenne faible gain et la mission serait définitivement perdue. Afin de garantir la transmission avec la Terre, Voyager 2 doit maintenir son positionnement à un demi-degré près. Pour cela, la sonde actionne des petits propulseurs une douzaine de fois par jour afin de corriger son attitude car elle a une attitude fixe dans l’espace. Pour cela, la sonde est équipée de gyroscopes et d’accéléromètres pour mesurer à tout moment l’évolution de son attitude. Tous ces systèmes doivent fonctionner sans faille pendant l’année qui vient afin de maintenir le contact avec la Terre.
Irrémédiablement, la fin du Voyager est programmée: du fait de son éloignement progressif qui nécessite de plus en plus d’énergie pour communiquer et de la baisse de puissance de sa pile nucléaire, le JPL a estimé que la perte naturelle de contact aura lieu lieu vers 2025. Encore quelques belles années pour les sondes Voyager.